Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l’on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L’amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l’air d’un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! –
L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Le poème «Hymne à la Beauté» peut surprendre car il associe à la beauté les images du bien, mais aussi du mal et du satanique, images qui ne sont généralement pas associées à la notion de beauté.
Baudelaire a recours à de nombreuses antithèses tout au long du poème pour évoquer la beauté :
“ciel profond” / “abîme”, “infernal et divin”, “le bienfait et le crime”, “le couchant et l’aurore”.Ces antithèses ont aussi pour but de montrer que la beauté est tout, est partout dans le monde (exemple : “Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore”). Cela se voit également dans “tu gouvernes tout”.
Baudelaire emploie le champ lexical du divin et du satanique, bien souvent en mettant les deux en antithèse.
Champ lexical du divin : “ciel”, “divin”, “astres”, “Dieu”…
Champ lexical du satanique : “abîme”, “infernal”, “gouffre noir”, “enfer”, “Satan”…
Les antithèses sont généralement associées à des notions de bien et de mal, comme le divin et le satanique (“infernal et divin”, “le bienfait et le crime”…). Ainsi, le poète s’interroge sur l’origine et la nature de la beauté : émane-t-elle du bien ou du mal ?
D’ailleurs, cette interrogation ouvre le poème : “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme”. Puis les interrogations se répètent plus loin dans le poème : “Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?”, “De Satan ou de Dieu […] ?”.
Ainsi, la beauté est insaisissable car elle regroupe les notions contraires de bien et de mal.
La beauté est représentée comme une belle femme, sensuelle : “Tu répands des parfums”, “Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore”, “jupons”, “tes bijoux”, “fée aux yeux de velours”. Le vocabulaire utilisé est élogieux, et parfois presque érotique.
Ainsi, Baudelaire représente la beauté sous les traits d’une femme : la beauté est personnifiée => c’est une allégorie de la beauté.
Baudelaire semble comme fasciné par la beauté, comme un homme est fasciné par une femme dont il est amoureux. La beauté fascine également par son aspect monstrueux. Ainsi Baudelaire fait un rapprochement de la beauté et du monstrueux, comme un oxymore : “Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant”. Ces rapprochements inhabituels montrent la modernité poétique de Baudelaire.
Baudelaire utilise le champ lexical de la lumière pour désigner la beauté : “ébloui”, “chandelle”, “flambeau”, “lueur”. De même, il utilise un vocabulaire élogieux, en particulier dans la dernière strophe : “Ange ou Sirène”, “fée aux yeux de velours”, “ô mon unique reine !”. Le mot “unique” montre à quel point la beauté est précieuse aux yeux de Baudelaire.
La beauté concerne tous les sens : la vue (“regard”, “œil”, “ébloui”..), l’odorat (“parfums”), le toucher (“baisers”), le gout (“bouche”), l’ouïe (“Crépite”, “Rythme”).
La beauté est associée à l’idée de la mort, comme le montre le champ lexical de la mort (“crime”, “moribond”, “morts”, “tombeau”).
La beauté peut être fatale : “L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, / Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !”. Ainsi, l’éphémère (insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour) meurt sous la flamme de la beauté, et semble en tirer du plaisir (“Bénissons ce flambeau”).
La beauté n’a pas de morale, elle fait indifféremment le bien et le mal : “Tu sèmes au hasard la joie et les désastres”, “tu […] ne réponds de rien”.
Ainsi, la beauté est bien une fleur du mal.
L’idée de soumission à la beauté est clairement émise dans le vers “Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien”. L’adjectif “charmé” montre que la soumission est due au pouvoir de séduction de la beauté, comme Baudelaire est soumis à la belle Jeanne Duval. L’adjectif “charmé” peut également être pris dans le sens de “envouté”.
De même, dans “L’amoureux pantelant incliné sur sa belle”, l’adjectif “incliné” montre l’idée de soumission. Et dans “mon unique reine”, nous avons l’idée d’un sujet soumis à sa reine.
Le poète ne juge pas la beauté selon si elle fait le bien ou le mal, comme le montre la répétition de “qu’importe” associé à une antithèse faisant référence au bien et au mal (“Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe”, “De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, / Qu’importe”).
Ainsi, Baudelaire veut montrer que l’origine de cette beauté importe peu, ce qui compte est le résultat : le plaisir de la beauté.
Dès la deuxième strophe, la beauté a un pouvoir sur le poète : “Tes baisers sont un philtre”, un philtre étant une potion généralement préparée par les sorciers et destinée à inspirer l’amour.
La beauté a le pouvoir d’inverser les règles : “font le héros lâche et l’enfant courageux”. On note ici un parallélisme de construction.
La beauté permet au poète de découvrir de nouvelles choses auparavant inconnues : Baudelaire la compare au vin qui enivre et “m’ouvrent la porte / D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu”. La beauté permet ainsi de se délivrer de l’ennui, le spleen baudelairien, et d’accéder à l’éternité (“Infini”, placé en rejet) .
Le poème se termine sur la conclusion que la beauté améliore le monde, et permet de résister au spleen : “tu rends […] L’univers moins hideux et les instants moins lourds”.
Dans cet Hymne à la Beauté, Baudelaire montre sa modernité en associant à la beauté, non seulement les images traditionnelles du bien, mais aussi et surtout les images nouvelles du mal, du monstrueux.
Cette beauté monstrueuse lui permet de s’extirper du spleen et du temps qui passe.
Sources : Wikipedia, Bacdefrançais.net, Commentairecompose.fr
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