Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
À grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
Ce poème est consacré à Jeanne Duval, une femme métisse que Baudelaire a aimée, une de ses nombreuse muses. Elle est aussi l’inspiratrice d’autres de ses poèmes comme Parfum exotique, Le Serpent qui danse, et bien d’autres.
La femme est un des thèmes principaux dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire.
Contrairement à Parfum exotique qui est réduit à un sonnet, La chevelure se déploie sur sept quintils (strophes de cinq vers), en alexandrins.
Cette forme plus longue permet à Baudelaire de déployer tout le pouvoir évocatoire de la chevelure.
Le pouvoir évocatoire de la chevelure passe par un rythme incantatoire.
Les multiples «ô» vocatifs créent une forme d’incantation : on a l’impression d’entendre une prière adressée à une déesse. Ces interjections sont soutenues par l’enchaînement de points d’exclamation. Par exemple : Les multiples enjambements et le rythme ample du poème créent une impression d’extension, de grandeur. On peut citer par exemple ces vers :
« Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Si le poème est une incantation, c’est pour donner accès à un autre monde, à travers la représentation de la chevelure.
La chevelure est sans cesse transformée dans ce poème.
Dès l’entrée du poème, elle est métamorphosée par l’emploi d’un vocabulaire faisant référence à la bestialité : « toison moutonnante », « encolure » et « crinière ».
A la fin de la première strophe, la chevelure se transforme à travers la comparaison : « Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ».
D’abord animale, la chevelure devient végétale puisque la métaphore filée de l’animalité laisse place à une imagerie de la nature : « forêt aromatique » ,« l’arbre », « sève », « mer d’ébène », « huile de coco », « l’oasis ».
A travers ce réseau métaphorique, Baudelaire prône un retour à la nature primitive de l’homme.
On peut considérer cela comme une critique de l’homme moderne dans le monde de la Révolution industrielle, où le rapport à la nature tend à s’amenuiser.
Si « la chevelure » est le titre du poème, celle-ci n’est finalement qu’un prétexte pour parler d’autre chose. De fait, Baudelaire évoque immédiatement le parfum de la chevelure.
Le parfum devient même omniprésent : on trouve quatre fois du terme « parfum » dans le poème, complétées par un champ lexical plus développé : « aromatiques », « senteurs confondues »…
Or, comme dans Parfum exotique , le parfum est vecteur du souvenir et de la rêverie.
Ainsi, dans La chevelure, le sujet du poème se déplace. L’évocation de la chevelure mène à l’évocation du parfum qui mène à la rêverie et à l’évasion.
Dès le deuxième quintil, il devient question de terres lointaines, d’océans et de voyages.
Baudelaire détourne le thème initial du poème. La chevelure a un tel pouvoir évocatoire qu’elle mène le poète à une rêverie exotique.
Dans ce poème, la chevelure devient un port vers l’ailleurs : c’est à partir de sa contemplation que Baudelaire s’évade vers des contrées lointaines.
Dans les premiers quintils, la chevelure est comparée à un port à travers un riche réseau métaphorique : « agiter comme un mouchoir », « vogue », « nage », « voiles », « rameurs », mâts ».
Le basculement entre la contemplation de la chevelure et le voyage s’opère entre les strophes trois et quatre. 2
« De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
La chevelure de la femme et son parfum font naître, comme dans « Parfum exotique », des visions d’un monde exotique idéal.
On retrouve ainsi dans « La chevelure » les caractéristiques de l’exotisme cher à Baudelaire :
♦ La présence de pays lointains : « Asie », « Afrique »
♦ La présence de la mer : « mer d’ébène », « voile », « rameur »
♦ La présence du soleil et de la chaleur : (au sens propre : « brûlante Afrique », « l’ardeur des climats », « de flammes », « l’éternelle chaleur », et au sens sensuel du terme : « langoureuse Asie »)
♦ La profusion naturelle : « plein de sève », « immense », « senteurs confondues »
♦ Présence de minéraux précieux : « or », « saphir », « rubis ».
♦ La langueur tropicale : « langoureux« , « se pâment« . A la cinquième strophe, Baudelaire fait rimer « caresse » avec « paresse« .
Par ailleurs, l’assonance en « è » dans le poème, son doux et langoureux, suggère la paresse et le bien-être.
Baudelaire décrit une rêverie exotique sensuelle. Comme nous l’avons vu, le plaisir des sens, la profusion naturelle, est au cœur de sa vision.
Toutefois, la sensualité chez Baudelaire n’exprime pas uniquement la jouissance physique : c’est également un moyen d’accéder à un monde spirituel.
On relève ainsi des références à :
♦ La profondeur : « vit dans tes profondeurs », « je plongerai », « ciel immense » qui exprime l’intensité de l’expérience mystique vécue.
♦ La fécondité : « pleins de sève », « à grands flots » , « infinis » . Au cinquième quintil, on lit : « ô féconde paresse ».
La paresse apparaît comme une source de création.
A l’activité incessante du monde moderne qui naît de l’industrialisation, avec par exemple la création du travail à la chaîne, Baudelaire oppose une morale de l’oisiveté créatrice de beauté.
♦ L’ivresse : « boire » , « ivresse », « je m’enivre ardemment » , « l’oasis » , « le vin ».
L’ivresse dont parle Baudelaire n’est pas une ivresse de la boisson.
Par métaphore, Baudelaire suggère une soif d’Idéal, une ivresse spirituelle.
Toutes les expressions liées à l’ivresse ont une dimension mystique : « où mon âme peut boire », « je hume à longs traits le vin du souvenir« .
Transition : La mise en place par Baudelaire d’une rêverie exotique est une invitation à l’évasion qui représente pour lui un idéal.
Le voyage chez Baudelaire n’est pas qu’un voyage vers des contrées exotiques. C’est, plus largement, une invitation à l’évasion, pas seulement physiquement, mais aussi travers des échappatoires mentales.
Ainsi le monde décrit n’est pas un monde réel mais un monde rêvé, imaginé.
Le lieu de l’exotisme n’est pas précisé : il n’est résumé que par les mentions imprécises de l’Afrique et de l’Asie, et par « là-bas ».
Il s’agit donc non pas de la représentation d’un espace réel, mais bien d’un espace rêvé.
Il ne s’agit pas d’une description, mais d’une vision. D’ailleurs, le mot « rêve » apparaît aux vers 14 et 34.
B – La résurrection du souvenir
L’évasion chez Baudelaire passe aussi par une résurrection du souvenir.
Le lien entre le voyage et le souvenir est omniprésent : « souvenirs dormant dans cette chevelure » , « vous retrouver » , « le vin du souvenir » .
La chevelure, en rappelant au poète ses souvenirs, fait ressusciter ces derniers : cela est marqué par la coupure du vers 6/7 :
« Tout un monde lointain, absent, presque défunt/ Vit dans tes profondeurs ».
L’antithèse défunt/vit insiste sur ce passage de la mort à la vie.
Conclusion sur « La chevelure » :
Nous avons vu dans cette analyse que Baudelaire détourne le sujet initial du poème.
Au lieu de nous parler de la chevelure, comme l’annonce le titre, il nous propose un voyage exotique. Il déjoue ainsi les attentes de son lectorat.
En effet, la troisième strophe se termine sur deux points. Ces deux points, suivis du blanc typographique (commencement d’une nouvelle strophe) symbolisent un passage, une ouverture, une extension sur l’ailleurs :
« De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
La chevelure de la femme et son parfum font naître, comme dans « Parfum exotique », des visions d’un monde exotique idéal.
On retrouve ainsi dans « La chevelure » les caractéristiques de l’exotisme cher à Baudelaire :
♦ La présence de pays lointains : « Asie », « Afrique »
♦ La présence de la mer : « mer d’ébène », « voile », « rameur »
♦ La présence du soleil et de la chaleur : (au sens propre : « brûlante Afrique », « l’ardeur des climats », « de flammes », « l’éternelle chaleur », et au sens sensuel du terme : « langoureuse Asie »)
♦ La profusion naturelle : « plein de sève », « immense », « senteurs confondues »
♦ Présence de minéraux précieux : « or », « saphir », « rubis ».
♦ La langueur tropicale : « langoureux« , « se pâment« . A la cinquième strophe, Baudelaire fait rimer « caresse » avec « paresse« .
Par ailleurs, l’assonance en « è » dans le poème, son doux et langoureux, suggère la paresse et le bien-être.
Baudelaire décrit une rêverie exotique sensuelle. Comme nous l’avons vu, le plaisir des sens, la profusion naturelle, est au cœur de sa vision.
Toutefois, la sensualité chez Baudelaire n’exprime pas uniquement la jouissance physique : c’est également un moyen d’accéder à un monde spirituel.
On relève ainsi des références à :
♦ La profondeur : « vit dans tes profondeurs », « je plongerai », « ciel immense » qui exprime l’intensité de l’expérience mystique vécue.
♦ La fécondité : « pleins de sève », « à grands flots » , « infinis » . Au cinquième quintil, on lit : « ô féconde paresse ».
La paresse apparaît comme une source de création.
A l’activité incessante du monde moderne qui naît de l’industrialisation, avec par exemple la création du travail à la chaîne, Baudelaire oppose une morale de l’oisiveté créatrice de beauté.
♦ L’ivresse : « boire » , « ivresse », « je m’enivre ardemment » , « l’oasis » , « le vin ».
L’ivresse dont parle Baudelaire n’est pas une ivresse de la boisson.
Par métaphore, Baudelaire suggère une soif d’Idéal, une ivresse spirituelle.
Toutes les expressions liées à l’ivresse ont une dimension mystique : « où mon âme peut boire », « je hume à longs traits le vin du souvenir« .
Transition : La mise en place par Baudelaire d’une rêverie exotique est une invitation à l’évasion qui représente pour lui un idéal.
Le voyage chez Baudelaire n’est pas qu’un voyage vers des contrées exotiques. C’est, plus largement, une invitation à l’évasion, pas seulement physiquement, mais aussi travers des échappatoires mentales.
Ainsi le monde décrit n’est pas un monde réel mais un monde rêvé, imaginé.
Le lieu de l’exotisme n’est pas précisé : il n’est résumé que par les mentions imprécises de l’Afrique et de l’Asie, et par « là-bas ».
Il s’agit donc non pas de la représentation d’un espace réel, mais bien d’un espace rêvé.
Il ne s’agit pas d’une description, mais d’une vision.
Sources : Wikipedia, Bacdefrançais.net, Commentairecompose.fr
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